L’usager de la ville marocaine est confronté aujourd’hui à une multitude de langages architecturaux résultant de directions et de processus ayant évolué dans le temps.
La ville marocaine a des siècles durant été marquée par un tissu urbain adapté à une structure sociale précise, avec des principes d’organisations codifiés ayant mûri dans le temps.
A la colonisation, l’apparition de villes nouvelles provoque une mutation des pratiques sociales et urbaines et une ouverture sur de nouveaux modes de pensées. La ville devient un champ d’expérimentation privilégié à l’avant-garde dans de nombreux domaines. Des tendances architecturales se dégagent avec notamment le style colonial et un modernisme «contextualisé» dans la deuxième moitié du XX ème siècle avec des figures dominantes telles que Zevaco, Azagury, Riou, Tastemain, De Mazières et Faraoui…
Les années 50 et 60 marquent ainsi une période d’inventivité et l’apogée d’un modernisme marocain décrit et analysé dans de nombreuses publications internationales.
La fin du protectorat coïncide avec l’arrivée d’architectes marocains et le début de nouvelles interrogations identitaires.
Cette trame de fond explique en grande partie la situation actuelle: un ensemble de tendances disparates avec un flou idéologique, l’ère des courants théoriques semblant être révolue du moins dans une forme définie et reconnue comme telle. Une des manifestations de ce flottement est l’apparition d’architectures oscillant entre rappels traditionnels et post-modernisme, usant de pastiche et d’éléments dénaturés reflétant ainsi une société en quête de sens et de repères.
Cette tendance, qui prolifère dans les années 80 et 90, imprime un paysage architectural appauvri et hybride, accentué en cela par un urbanisme peinant à insuffler une qualité conceptuelle.
Si des relents de ces vocabulaires subsistent encore aujourd’hui, ces tendances semblent avoir fait leur temps.
L’ouverture progressive des intervenants du cadre bâti sur de nouvelles expériences explique en partie ce changement d’attitude.
Une architecture dite contemporaine voit ainsi progressivement le jour mais elle manque souvent de force conceptuelle : il s’agit le plus souvent d’un modernisme de façade qui procède paradoxalement de la même manière que les architecture pseudo traditionnelles en usant simplement de nouveaux accessoires et autres tics: murs rideaux, brise-soleil, placages d’aluminium, jeu formels…
Ceci étant dans certains cas en contradiction avec des principes de confort thermique eu égard au climat local.
Ces intentions prises une a une présentent un certain intérêt mais l’architecture est rarement dans ces cas un tout dont la logique et l’essence fédèrent l’esprit, l’espace et par là, la forme.
Cette situation est également favorisée par une réglementation souvent anachronique et des clients aux besoins mal définis avec des repères sociaux de plus en plus flous et une résistance au changement et à l’originalité. Le manque de professionnalisme de certaines entreprises accentue l’approximation d’une part de la production architecturale.
Ce mouvement peut toutefois être considéré comme une phase transitoire nécessaire et constitue quoi qu’il en soit un degré positif dans l’évolution de l’architecture au Maroc.
Parallèlement, une architecture de qualité, conceptuellement riche a ponctué ces dernières décennies, œuvre d’architectes confirmés et impliqués dans le devenir de la ville, et de générations de jeunes architectes emprunt d’une volonté de changement. Un langage épuré, voire minimaliste se développe tout en marquant son rattachement au contexte local.
Le lancement de nombreux concours contribue également à l’enrichissement du débat et à la confrontation d’idées propices à un renouveau du paysage architectural. Néanmoins, l’apparition d’un style «concours» où la priorité semble être donnée à des considérations d’ordre formel et graphique, avec la résurgence de clichés, atténue quelque peu l’intérêt de ce mode d’attribution.
De plus, ce champ de recherche touche encore peu des domaines clés aux problématiques exacerbées tels que l’habitat social ou encore les villes nouvelles.
En effet, la volonté d’éradiquer les bidonvilles et l’urgence qu’elle requiert met l’accent sur la politique du « chiffre » aux dépens de la qualité. Des impératifs de rentabilité maximale du foncier sont mis en avant et les réalisations occultent souvent un certain nombre de paramètres complémentaires tout aussi importants pour une qualité de vie: trame urbaine, densité du bâti, bruit, densité végétale, équipements…
De même, la création de villes nouvelles ne suscite que peu de débats et de réflexions alors même que ce pourrait être un terrain d’expérimentation à même de corriger certaines erreurs.
L’architecture ne semble plus véhiculer de message social et propose peu de grilles de lecture d’une manière de penser et d’habiter.
Lorsque des intentions architecturales intéressantes émergent, elles se confrontent à un environnement dévalorisant dévoilant ainsi les problèmes de planification et de gestion urbaine.
La spéculation galopante, sans rapport avec le niveau réel de qualité du cadre bâti, accentue cette problématique.
Les centres des villes nouvelles constituent un autre point de dégradation du paysage urbain. Ces centres qui il y a peu symbolisaient modernité et avant-gardisme se retrouvent dans des situations de quasi-déchéance, ce particulièrement à Casablanca. Ce ne sont pas les quelques réhabilitations inadaptées entreprises ponctuellement qui peuvent contribuer à améliorer de telles situations.
Les médinas historiques ont connu jusqu’à récemment pareil sort. Le regain d’intérêt pour les maisons traditionnelles de la part notamment de visiteurs étrangers semble actuellement changer la donne mais il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de cette évolution. La multiplication de résidences de standing au cachet vernaculaire, à Marrakech particulièrement, confirme cette tendance.
La revalorisation de ces tissus représente un défi à même d’insuffler une dynamique et de préserver une architecture de grande valeur.
Ce panorama succinct relève de nombreux problèmes mais des perspectives positives se dessinent progressivement et il s’agit avant tout de redonner à l’architecture l’importance qui est la sienne et de façonner un réceptacle chargé de sens, de sensibilité et de poésie.
Plus encore, c’est notre modernité qu’il nous incombe de découvrir ou de redécouvrir. Des gens comme Zevaco ou Azagury l’ont compris il y a maintenant 60 ans…
Saad El Kabbaj
Driss Kettani
Mohamed Amine Siana